Chapitre 14 : La secte

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Dans la discrétion de la nuit, Cathàn s’échappait du Temple de Nacre. Emmitouflée dans une pèlerine noire, seules ses oreilles de renard en sortaient.

« J’ai tenté de renverser un roi, j’ai fait le voyage à fond de cale de Pydna à Lakon, je ne vais pas me laisser marcher sur les pieds par un mercenaire et encore moins me faire voler ma fille. »

Elle serra le couteau qu’elle avait fourré dans sa poche avant de partir.

« S’il faut en arriver là… »

Elle s’engouffra dans une petite ruelle. Même à cette heure, il y avait toujours du monde debout. La ville ne dormait jamais.

Deux mandragots discutaient devant une échoppe. Cette race était partiellement nyctalope et cessait le travail bien après le crépuscule.

« C’était la dernière caisse. On va les déposer à l’entrepôt du port ?

– Non ! J’y ai vu un mercenaire avec un bébé qui y allait à grands pas… Je ne veux pas d’emmerdes avec ces gens-là.

– On ne risque pas beaucoup d’emmerdes s’il était seul… surtout avec un bébé…

– Attendons demain, de toute façon il est déjà tard. »

Cathàn ne comprenait pas bien leur langue, le mérovien, qui n’était pas beaucoup parlé sur l’archipel ; mais elle en avait entendu assez pour savoir où aller.

« Je m’en doutais, je dois me dépêcher ! »

En plus d’une nuit sans lune, un épais brouillard cachait la mer. Saro, Kerdin et Téméni attendaient sur le quai.

« Où est ton bateau ? demanda Saro.

– Juste là. Téméni, donne-moi Salpi, je vais la tenir un peu. »

Saro fit signe à la salamandre de ne pas bouger.

« Où est ton navire ? » demanda-t-il encore une fois.

Kerdin leva un sourcil.

« Tu ne me fais vraiment pas confiance ? C’est un peu tard pour ça. »

Une galère de cinquante mètres de long émergea de la brume. La coque était recouverte de grandes plaques de cuivre. Aucune activité visible sur le pont. Sa silhouette menaçante s’approchait sans un bruit.

« Tu… qu’est-ce que c’est ?

– Le navire de ma secte.

– De ta secte… »

Kerdin arracha Salpi des mains de Téméni et précipita la courtisane à l’eau.

« Désolée. Finalement, je pense que je n’ai besoin que de cette petite. »

Elle approcha son visage de la fillette.

« Ou du précieux sang antique que ta mère t’a transmis. » dit-elle. Seuls son sourire et ses yeux brillaient dans la nuit.

« Ce n’est pas ce qu’on avait convenu ! » s’emporta Saro en dégainant son épée.

« Mais c’est ce qui me convient. » dit Kerdin.

De sa main libre, elle esquissa un geste en direction de Saro, et une bourrasque de vent fit chuter le mercenaire. Une échelle de corde fut jetée du navire sur le port. Toujours personne sur le pont.

« Sur ce. » dit l’elfe en grimpant.

« Attends voir ! »

C’était Cathàn, à l’autre bout du port, à bout de souffle.

« Rends-moi ma fille !

– Tiens, tu es là, toi ? » demanda Kerdin sans s’affoler. Elle recommença son geste, une nouvelle bourrasque fut émise, mais Cathàn esquiva. Son couteau entre les dents, la Femme-Renard entamait un sprint vers le navire. Elle était dans une colère folle. Une force étrange lui traversait les muscles, et dans la précipitation, elle se penchait tellement en avant qu’elle utilisât ses bras pour se propulser plus vite ; on avait l’impression que, retournée à un état animal, elle marchait à quatre pattes.

« Oui, c’est ça ! s’exclama Kerdin qui brisa son masque de sérénité un instant. Le sang des anciens, le sang des animaux ! C’est ce que je recherche ! »

Elle se calma aussitôt.

« Mais toi, tu ne m’intéresses pas. Ta fille fera largement l’affaire. »

Elle pianota dans l’air avec chacun de ses doigts, produisant autant de lames de vents. Cathàn esquiva de justesse avant de chuter au sol.

« Ce n’est pas que vous n’êtes pas mignons, mais je dois y aller. On m’attend. »

Sur le pont de son navire, elle jeta un œil au port. Une troisième personne s’avançait.

« Encore ? Ça va devenir agaçant. »

L’ombre en question commença elle aussi un sprint. D’abord renversé, il se releva encore et encore.

« Tenace…

– Tu sous-estimes les Varègues ! » hurla alors Volker.

Il saisit l’échelle.

« Inutile. »

Kerdin la coupa et il s’écrasa sur le quai. La galère commençait à partir.

« Salpi ! » s’écria Cathàn.

« Inutile ? » dit Volker alors qu’il se relevait.

À l’autre bout du port, une flotte de navires à fond plat venait d’apparaitre. Debout sur la proue de l’un d’eux, Gunnolvur estimait la situation.

« Ce navire… il fonctionne à la magie. »

Il se retourna vers la masse de soldats qui attendaient sur le pont.

« Une mage puissante nous fait face ! Restez à l’affût ! »

Kerdin, Salpi dans les bras, ne fut pas impressionnée outre mesure par la flotte de Lakon. Elle leva le bras, et les pagaies sans rameurs s’activèrent comme si un millier d’hommes les maniaient.

« C’est ridicule. Et vous pensez m’arrêter ? »

Depuis le quai, Cathàn observait la scène. Aussi puissante et rapide que fût Kerdin, elle ne pouvait pas passer le barrage de Gunnolvur…

Un bruit terrible s’abattit sur le port, suivit par une vague d’air chaud. L’atmosphère se déchirait devant eux ; une fissure dans l’espace, un portail était en train de s’ouvrir. La proue du navire de Kerdin touchait déjà la surface irisée qui menait on ne sait où.

« Un portail de téléportation… murmura Volker. Un vrai portail de téléportation… c’est… c’est impossible… ça n’existe plus…

– Elle va s’enfuir avec Salpi ! hurla Cathàn.

– Ne vous approchez pas du portail, on ne sait pas où il mène et si vous le touchez, on aura aucun moyen pour vous récupérer ! » cria Volker, mais il n’avait pas fini sa phrase qu’il fut bousculé par Cathàn.

La princesse faisait le sprint de sa vie. Elle était souple, et elle avait la détente suffisante pour sauter jusqu’au premier sabord.

« C’est que tu t’accroches… » s’exclama Kerdin, qui leva le bras pour lancer un nouveau sort. Comme elle ne pouvait pas lâcher Salpi, elle était gênée dans ses mouvements. Un choc sur la coque la fit vaciller. Au grand étonnement de tous, Saro venait de sauter lui aussi, après avoir pris appui sur une borne d’amarrage, et il tentait de monter sur le pont. Kerdin sentit le danger et se précipita à sa rencontre.

« Inutile ! » dit la mage elfe en essayant de lui écraser les doigts.

Le jeune Garache, agile, se hissa sur le pont. Cathàn s’approchait par-derrière.

« Rends-moi ma fille ! » crièrent les deux parents en même temps.

« Jamais ! » répondit Kerdin. « Jamais. Elle servira de plus grands desseins que tous vos petits jeux de pouvoir ! »

Saro lui bondit dessus, et après lui avoir saisi la main gauche, il lui asséna un coup de tête. Elle recula à un point tel qu’elle arriva jusqu’à Cathàn.

Le choc l’ayant rendue confuse, la Vulpès insulaire en profita pour lui arracher Salpi qu’elle ne tenait plus que d’un bras.

« Revenez ! Maintenant ! » leur cria Volker. De l’autre côté de la rade, les galères de son père s’approchaient du portail. Une dizaine de magiciens s’affairaient sur les ponts, incantaient des sorts, sans parvenir à refermer cette brèche issue d’un arcane qu’il n’avait jamais vu.

Cathàn prit appui sur le bastingage et sauta à l’eau, serrant Salpi contre elle. Ce n’était pas une adepte de la nage, mais les circonstances lui faisaient déployer une énergie qu’elle ne soupçonnait pas. Volker lui envoya une corde et la ramena sur le port.

Saro s’apprêtait à faire de même, quand il fut saisi par Kerdin.

L’elfe montagnole s’essuya le sang qui lui coulait du nez.

« Tu… restes avec moi. » dit-elle. Une aura sombre l’enveloppait ; ses yeux étaient sillonnés de petits vaisseaux jaunâtres. Le mercenaire tenta de se défaire de son étreinte, mais c’était peine perdue ; la colère de Kerdin augmentait sa puissance.

Le navire s’enfonça dans la faille et fut avalé en une fraction de seconde. Au grand étonnement de tous, tout disparut avec lui, le portail comme le brouillard, et on aurait juré qu’il n’y avait jamais rien eu à cet endroit.

La mer était redevenue calme. Saro et Kerdin avaient disparu. Le soleil se levait sur la ville.

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